Retour
10 mars 2025

68 500 Éoliennes

Le défi titanesque de la transition énergétique française

Les grands défis de notre temps nécessitent souvent des perspectives radicalement nouvelles. Face à l'urgence climatique et à l'épuisement programmé des ressources fossiles, l'humanité s'interroge sur la façon de réinventer son approvisionnement énergétique. Une question s'impose alors naturellement : serait-il possible de remplacer entièrement nos sources d'énergie conventionnelles par des alternatives renouvelables comme l'éolien ? Après avoir analysé en détail la consommation électrique française et les capacités d'une éolienne moderne, nous arrivons maintenant au moment de vérité : combien d'éoliennes faudrait-il pour alimenter l'intégralité de l'Hexagone ?

Le résultat final : un chiffre qui interpelle

Nos calculs précédents nous ont permis d'établir deux paramètres essentiels : la puissance totale consommée par la France (\(P_{\text{France}} \approx 68.5\,\text{GW}\)) et la puissance électrique générée par une éolienne standard (\(P_{\text{éolienne}} \approx 1.04\,\text{MW}\)). Le moment est venu de déterminer combien d'éoliennes seraient nécessaires pour satisfaire l'intégralité de cette demande énergétique.

Le calcul final

Le nombre d'éoliennes nécessaires s'obtient simplement en divisant la puissance totale consommée par la France par la puissance produite par une seule éolienne : $$ N_{\text{éoliennes}} = \frac{P_{\text{France}}}{P_{\text{éolienne}}} = \frac{68.5\,\text{GW}}{1.04\,\text{MW}} \approx 68500 \text{ éoliennes} $$ Ce chiffre représente l'équivalent d'environ 20 éoliennes pour chaque commune française de plus de 3500 habitants.

Pour mettre ce nombre en perspective, la France comptait environ 10500 éoliennes installées début 2025. Notre estimation suggère donc qu'il faudrait multiplier par plus de 6,5 le parc éolien actuel pour couvrir théoriquement l'ensemble des besoins électriques du pays, dans les conditions idéales que nous avons supposées.

"Les nombres ont ceci de fascinant qu'ils nous confrontent à la réalité brute, dépouillée de toute idéologie. 68 500 éoliennes n'est ni un argument pour ni contre l'énergie éolienne — c'est simplement l'échelle du défi auquel nous faisons face." — Dr. Léo Youssefi

La variabilité du vent : premier défi majeur

Notre calcul repose sur une hypothèse fondamentale qui mérite d'être examinée de près : nous avons considéré une vitesse de vent constante de 10 m/s. Dans la réalité, le vent est par nature variable et imprévisible.

Diagramme montrant la variabilité du vent

La variabilité du vent implique des périodes de production maximale alternant avec des périodes de production très faible ou nulle (©Souleymane Sanogo)

Le facteur de charge

En France métropolitaine, le facteur de charge moyen des éoliennes (ratio entre la production réelle et la production théorique maximale) est d'environ 24%. Cela signifie que, sur une année, une éolienne produit en moyenne moins d'un quart de ce qu'elle pourrait produire si le vent soufflait constamment à sa vitesse optimale.

En tenant compte de cette réalité, le nombre d'éoliennes nécessaires pourrait être bien plus élevé. Pour compenser ce facteur de charge de 24%, il faudrait théoriquement installer environ 285 000 éoliennes pour assurer la consommation électrique française en moyenne annuelle, un chiffre qui défie l'imagination.

Des hypothèses optimistes

Notre modèle s'appuie également sur certaines hypothèses techniques qui méritent d'être nuancées pour une vision plus réaliste du défi.

Rendement idéalisé

Nous avons utilisé un rendement global de 60% pour nos éoliennes, une valeur proche de la limite théorique de Betz (59,3%). Dans la pratique, le rendement global — qui inclut les pertes aérodynamiques, mécaniques, électriques et de conversion — est généralement plus proche de 35-45%. Cette différence augmenterait encore significativement le nombre d'éoliennes nécessaires.

Pertes de transmission

Notre modèle ne prend pas en compte les pertes dans le réseau de transport et de distribution d'électricité, qui peuvent représenter 5 à 10% de l'énergie produite. Ces pertes sont d'autant plus importantes que les distances de transport sont grandes, ce qui serait inévitable avec un parc éolien aussi vaste et dispersé.

Consommation homogène

Nous avons considéré une consommation constante, alors que la demande électrique française varie considérablement selon les heures, les jours et les saisons. Les pics de consommation hivernaux, notamment, peuvent être jusqu'à 50% supérieurs à la moyenne annuelle, nécessitant soit une surcapacité de production, soit d'importantes capacités de stockage.

Ces considérations révèlent la nature idéalisée de notre modèle. Dans un scénario plus réaliste, il faudrait intégrer ces facteurs limitants, ce qui conduirait à un nombre d'éoliennes encore plus élevé ou à la nécessité de compléter le dispositif par d'autres sources d'énergie.

L'enjeu de l'infrastructure et de l'espace

Au-delà des défis techniques, la mise en place d'un parc éolien de cette ampleur soulèverait d'importants enjeux d'infrastructure, d'utilisation de l'espace et d'acceptabilité sociale.

Empreinte territoriale

Les éoliennes modernes sont généralement espacées de 5 à 7 fois la longueur de leurs pales pour minimiser les interférences aérodynamiques. Pour des éoliennes avec des pales de 30m, cela représente un espacement d'environ 150-200m. Un parc de 68 500 éoliennes nécessiterait donc une surface au sol d'environ 1 500 à 2 700 km², soit l'équivalent de 18 à 34 fois la superficie de Saint-Etienne!

Cette empreinte territoriale considérable soulève plusieurs questions cruciales :

Compétition pour l'usage des terres

Comment répartir ces éoliennes sans empiéter excessivement sur les terres agricoles, les zones protégées ou les zones habitées ? Même si l'espace entre les éoliennes peut être utilisé pour l'agriculture, l'impact sur le paysage et les écosystèmes resterait considérable.

Acceptabilité sociale

La multiplication des parcs éoliens suscite déjà des oppositions locales significatives. Comment obtenir l'adhésion des populations à un projet d'une telle ampleur ? Les préoccupations concernant l'impact visuel, le bruit, les effets sur la biodiversité et la valeur (vénale, si on veut être précis) des propriétés représentent des défis sociopolitiques majeurs.

Stabilité du réseau

Comment gérer un réseau électrique majoritairement alimenté par une source intermittente ? Les solutions de stockage à grande échelle (batteries, hydroélectricité pompée, hydrogène) ou de complémentarité avec d'autres sources d'énergie (solaire, biomasse, nucléaire) impliquent des investissements massifs supplémentaires et soulèvent leurs propres défis techniques.

Conclusion : Au-delà des chiffres

Notre étude, même simplifiée, nous livre un enseignement fondamental : remplacer intégralement le mix énergétique français par l'éolien représenterait un défi colossal dont l'ampleur peut être quantifiée. Les 68 500 éoliennes de notre calcul théorique — ou les centaines de milliers nécessaires dans un scénario plus réaliste — illustrent l'immensité de la tâche.

Ce résultat ne doit cependant pas être interprété comme un argument contre l'énergie éolienne. Au contraire, il souligne plutôt la nécessité d'une approche diversifiée de la transition énergétique. Aucune source d'énergie unique ne peut répondre à tous nos besoins de manière optimale. Un mix énergétique équilibré, intégrant éolien, solaire, hydraulique, biomasse et nucléaire, offre une voie plus réaliste vers un avenir décarboné.

Notre exercice de modélisation met également en lumière l'importance cruciale de la sobriété énergétique. Réduire notre consommation totale d'énergie reste le levier le plus puissant pour faciliter la transition énergétique. Chaque gigawatt économisé représente des milliers d'installations en moins à construire.

En définitive, les chiffres que nous avons calculés nous invitent à une réflexion plus profonde sur nos choix collectifs. La transition énergétique n'est pas seulement une question technique — c'est un projet de société qui implique des arbitrages complexes entre différentes valeurs et priorités. Ce n'est qu'en abordant cette complexité avec lucidité que nous pourrons tracer un chemin viable vers un avenir énergétique durable.